"Un des orchestres les plus homogènes, les plus parfaits, les plus prestigieux que j'ai jamais eu l'occasion de diriger" Toscanini (22 novembre 1934)
C'est désormais dans le livre de Gilles Demonet qu'on trouvera tous les détails sur la constitution de l'Orchestre Straram et j'y renvoie mon lecteur. L'auteur propose une analyse très fouillée de la création, du fonctionnement, de la programmation des concerts Straram. Il met également en avant la singularité de la formation dans le contexte parisien de l'époque. Un texte indispensable pour qui veut approfondir le sujet. J'ai repris, ci-dessous, le texte de la première édition de ce site (2016), qui aura eu le mérite d'être le premier à fournir certaines informations, mais qui ne peut prétendre à concurrencer le travail très complet de Gilles Demonet. Consulter la page Actualité, pour les détails sur son livre.
Fondé en 1923, l'orchestre Straram venait concurrencer les quatre grandes formations parisiennes :
1 - L'orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire qui se produisait tous les dimanches à 15 heures salle de l'ancien Conservatoire, puis la nouvelle Salle Pleyel (1927) dirigé par Philippe Gaubert.
2 - L'orchestre Lamoureux qui se produisait les samedis et dimanches après-midi Salle Gaveau. Camille Chevillard, gendre de Charles Lamoureux meurt en 1923 et est alors remplacé par Paul Paray.
3 - L'orchestre Colonne qui se produisait au Théâtre du Châtelet les samedis et dimanches après-midi. Gabriel Pierné en sera le président-chef titulaire jusqu'en 1934.
4 - L'orchestre Pasdeloup qui se produisait au Trocadéro, au Théâtre Mogador, au Théâtre de l'Opéra ou, enfin, au Théâtre des Champs-Elysées les samedis et dimanches après-midi était régulièrement dirigé par Rhené-Bâton jusqu'en 1932.
Il faut ajouter les efforts de Jacques Rouché comme directeur du Théâtre national de l'Opéra de Paris (1914-1939) puis comme administrateur de la Réunion des théâtres lyriques nationaux (1939-1945). Il a fait connaître un grand nombre d'ouvrages lyriques ou chorégraphiques de ses contemporains. Il accueille Straram à l'Opéra le 22 novembre 1928 pour accompagner les ballets d'Ida Rubinstein avec la création du
Boléro
de Ravel.
On constate que la vie symphonique parisienne était riche pour une ville qui comptait alors environ trois millions d'habitants quand Straram fonda sa propre formation. Il devait lui-même être concurrencé par l'activité d'autres formations actives mais éphémères comme les Concerts Koussevitzky à l'Opéra (1921-1928), l'Orchestre Symphonique de Paris fondé par Pierre Monteux (19 octobre 1928-1938) installé dans la nouvelle salle Pleyel (1927) administrée par Gustave Lyon puis au TCE après l'incendie de celle-ci, les concerts Marius-François Gaillard (1928...), les Concerts Siohan (1929-1936) au Théâtre Sarah-Bernhardt , les concerts Gaston Poulet (1929-1935)... Pour la saison 1927-1928, le Courrier musical du 15 juillet 1928 relève 267 concerts symphoniques, 223 récitals de piano, 193 concerts de musique de chambre, 115 récitals de mélodies, 102 concerts d'orchestre avec chœur...
Les formations parisiennes avaient un statut d'association gérée par un comité et les musiciens étaient intéressés aux recettes ce qui engendrait une programmation sans risque et plutôt routinière. En revanche, Straram, dégagé du souci de rentabilité du fait de l'argent de Madame Ganna Walska, pouvait se permettre de sortir du répertoire courant et mettre son talent et celui de ses musiciens au service des compositeurs contemporains. Il n'avait le souci ni du nombre de répétitions ni de la durée de celles-ci tant les cachets faisaient taire toute réclamation. J'ajouterai qu'il eut l'heureuse initiative de sortir des sacro-saints concerts du week-end pour organiser ses concerts les jeudis soirs... bonne idée à une époque où les parisiens commençaient à goûter la campagne en fin de semaine.
Voici ce qu'écrit le chef d'orchestre Piero Coppola
[1] : "Cet orchestre avait été soigneusement formé par Walther Straram qui, après les concerts de Mme Nielka et de moi-même, avait repris la même idée et donnait régulièrement au printemps une série de dix concerts, le jeudi soir. M. Straram était un excellent musicien qui aimait indéniablement son art. Tard venu à la direction d'orchestres, il avait intelligemment compris qu'il devait s'assurer un ensemble de musiciens hors ligne. Il les choisit un à un dans les quatre associations symphoniques parisiennes, et même dans l'orchestre du Théâtre de l'Opéra, et il les fit travailler, sans se soucier du nombre, ni de la durée des répétitions, pouvant disposer d'un budget largement alimenté par une riche mécène américaine. Il eut le bon goût de ne pas s'attacher aux morceaux du répertoire courant et d'un succès facile ; il s'employait au contraire à faire connaître des œuvres rarement jouées dans les associations officielles, et donnait de nombreuses premières auditions. Je suis reconnaissant à sa mémoire parce qu'il a bien voulu diriger ma
Symphonie en la, à laquelle il voua ses meilleurs soins. Cet orchestre Straram devint donc très coté chez les mélomanes parisiens, et à juste titre. Nous rappellerons plus tard que ce fut l'orchestre choisi par Toscanini pour ses concerts à Paris, à partir de 1932."
À la suite du rachat par Harold McCormick (1922) du Théâtre des Champs-Elysées (TCE) fondé par Gabriel Astruc
[2] et dirigé alors par Jacques Hébertot, Straram constitua donc en 1923, sa propre formation composé des meilleurs instrumentistes de Paris (voir infra). Straram n'hésitait pas à céder sa baguette en mettant son orchestre à la disposition des compositeurs pour diriger leurs œuvres comme Stravinsky qui, en février 1928, dirige pour la première fois son Sacre du printemps
et qui dans la foulée l'enregistre au Théâtre des Champs-Élysées l'année suivante, le 10 mai
[3]. De même, dans les mois qui suivent, Falla et Honegger sont invités à diriger des programmes entièrement consacrés à leurs œuvres, et Richard Strauss en octobre 1930. De même pour la
Symphonie de Psaumes en 1931. Le programme de ces concerts montrent l'intense activité de l'orchestre Straram en faveur de la musique du temps. La correspondance du maestro montre qu'il fut alors sollicité par de très nombreux compositeurs non seulement français mais aussi étrangers pour créer leurs œuvres. Straram avait pour principe de donner au moins une création par programme comme le montre les huit
Saisons de 12 puis 16 concerts qu'il donna de 1926 à 1933 salle Gaveau, salle Pleyel, puis au Théâtre des Champs-Elysées, saisons qui remportèrent un très vif succès. Dans
L'Excelsior du 19 janvier 1926, Émile Vuillermoz s'émerveille : "Pour obtenir le meilleur orchestre, il faut cueillir la fleur de nos quatre beaux orchestres dominicaux afin d'en constituer une sorte de super orchestre hors concours. C'est ce qu'avait tenté Serge Koussevitzky, c'est ce que vient de réaliser magnifiquement Walther Straram. Paris possède désormais les éléments constitutifs du meilleur orchestre du monde". Toutefois, ce succès ne fut pas du goût de certains confrères de Straram, si l'on s'en rapporte à l'article de
L'Impartial
français, Sixte Quinte, du 25 janvier 1926 . Philippe Gaubert, Paul Paray, D.-E. Inghelbrecht étaient semble-t-il de ceux-là : "Gaubert ! Gaubert ! vous êtes un excellent chef d'orchestre mais vous avez tort de faire des proclamations à trop haute voix lorsque vous prenez un bock, le soir, au Critérion ? Taisez-vous ! des oreilles amies vous ont entendu, elles ont appris ainsi que les concerts Straram avaient le don de vous irriter, vous et quelques un de vos chers collègues. Vous ne pardonnez pas à ce remarquable musicien qu'il ait eu la chance de pouvoir organiser le jeudi soir des concerts symphoniques réunissant dans un orchestre les meilleurs solistes de Paris. Il possède une phalange incomparable qui fait le plus grand honneur à la France et qui honore en même temps les orchestres dont vous et vos amis êtes les chefs. Dans ces conditions, pourquoi lui faites-vous grise mine ? Parce qu'il prépare ses concerts plus confortablement que vous ? Parce qu'il répète plus souvent ?... Allons, ayez de l'élégance. On sait bien que si vous avez trop peu de répétitions, c'est parce que les temps sont durs et qu'il faut faire des économies. On ne vous reproche pas votre pauvreté. mais, de grâce, quand le destin veut bien nous faire quelques libéralités, ne maudissez pas les dieux des présents qu'ils nous envoient. Lorsque les intérêts de la musique entrent en lutte avec ceux des musiciens, je vous avoue que je suis toujours disposé à déclarer que c'est la musique qui a raison."
On jugera de la qualité extraordinaire des solistes de l'orchestre en parcourant les programmes et le nombre incroyable de premières auditions y compris les plus avancées et les plus difficiles à exécuter comme celles des Viennois : Schoenberg, Berg Webern. Suivant la voie ouverte par son ami André
Caplet, Straram inscrira en effet à ses programmes la
Kammerkonzert de Berg, la
Passacaille op. 1 de Webern, les
Cinq Pièces op. 10 de Webern etc. Parmi de très nombreuses créations, Straram dirige celle du
Boléro de Ravel à l'Opéra le 22 novembre 1928 et obtiendra le 1er Prix de l'histoire du disque avec son enregistrement [3] du
Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy en 1931. Car l'intérêt de la firme Columbia pour enregistrer la formation de Straram prouve à quel point celle-ci était reconnue par le milieu musical. La discographie nous donne un vibrant témoignage de l'orchestre qui sonne avec une clarté toute française et un style épuré résolument moderne.
Toscanini est venu diriger à plusieurs reprises l'Orchestre Straram (12, 17, 18 octobre 1933, concerts-hommage en mai-juin et novembre 1934, décembre 1936). À la suite d'une série de 14 concerts, Toscanini écrit le 22 novembre 1934 : "N'oubliez pas, je vous en supplie de dire que j'ai trouvé en France un des orchestres les plus homogènes, les plus parfaits, les plus prestigieux que j'ai jamais eu l'occasion de diriger. L'orchestre que Walther Straram, ce magnifique animateur, a patiemment formé à Paris avec des éléments de premier ordre, est tout simplement devenu la plus extraordinaire ressource pour un chef d'orchestre international. Mon rêve serait de faire trois fois le tour du monde avec cet orchestre français."
L'Orchestre cessa toute activité après 1934. Dans une
lettre du 10 décembre 1934, Pierre Monteux sollicité par Einrich Straram déclinait l'offre de reprendre l'Orchestre. Marcel Moyse, pour sa part, recommandait Eugène Bigot pour reprendre la succession. Le départ de Walska et, surtout, la création de l'Orchestre National (janvier 1934) par le ministre des PTT Jean Mistler, découragèrent Enrich Straram de poursuivre ses investigations. Sous-sociétaire d'État aux Beaux-Arts en 1932, Jean Mistler avait songé à Walther Straram pour prendre la direction d'un orchestre radiophonique. Recrutés en février, les 80 musiciens de l'O. N. furent placés sous la direction de Désiré-Émile Inghelbrecht. Ils jouissaient d'un nouveau statut social imposant l'exclusivité en compensation d'un contrat indéterminé. L'Orchestre National donnera son premier concert le 13 mars 1934. Les 19 et 26 novembre 1935, Toscanini accepta de diriger l'Orchestre National à l'Opéra de Paris, car on lui avait promis qu'il y retrouverait les musiciens de l'Orchestre Straram. Ce ne fut vrai qu'en partie, bien sûr, et il aura fallu que tous les musiciens de l'O. N. se montrent à la hauteur pour que l'autoritaire chef italien n'annule pas ces deux concerts. J'ajouterai qu'un certain nombre d'instrumentistes (Merckel, Laskine...) issus de l'Orchestre Straram ne supportèrent pas l'exclusivité (et l'anonymat) imposée par les statuts de l'O. N. et reprirent leur liberté.
[1]
Dans ses souvenirs
Dix-sept ans de musique à Paris 1922-1939, éditions Zurfluh 1944, rééd.1947 p. 84-85 puis réimpr Alain Pâris (Paris et Genève, 1982). Par ailleurs, Coppola était directeur artistique de la Compagnie française du Gramophone "La Voix de son Maître". A la tête de différents orchestres, il enregistra près de cinq cents 78 tours dont les premières versions du Boléro de Ravel ou de Pacific 231 de Honegger. L'éditeur LYS a repris en plusieurs CD's ses enregistrements. Le Concerto n° 3 de Prokofiev avec le compositeur au piano est disponible chez Naxos, à bas prix. Il donnera de très nombreuses créations notamment de musiciens français. Ses souvenirs sont précieux pour la vie musicale à Paris au moment de l'activité de Straram.
[2]
D'après la correspondance, Astruc, directeur du théâtre depuis son ouverture en 1913, est resté vice-président à titre honorifique dans le cadre du conseil d'administration mais les relations avec Mme Walska ont rapidement été tendues. En revanche, Astruc a toujours gardé son admiration à Straram. Il écrivait à son fils Enrich le 26 novembre 1933 : "Vous savez l'admiration que j'avais pour le grand artiste qu'était votre père. Vous savez aussi que j'avais pris part à l'organisation de ses premiers concerts au Théâtre des Champs-Elysées. Nous nous connaissions de près de 40 ans ! Je l'ai vu naître à la renommée et devenir par son travail opiniâtre le maître incontesté qu'il était hier encore"... Dans ses souvenirs, Gabriel Astruc (1864-1938) ne site pas une seule fois Walther Straram. ASTRUC Gabriel, Le Pavillon des fantômes, Pierre Belfond, Paris, 1987.
[3] Pierre Monteux, créateur du Sacre
venait de l'enregistrer salle Pleyel avec l'Orchestre Symphonique de Paris, du 23 au 25 janvier 1929.
Cet orchestre fondé en 1928 par la Princesse de Polignac et Gabrielle Chanel, était composé de nombreux instrumentistes jouant également avec Straram.
« Passons des compositions musicales à certaines particularités de l'organisation de la vie musicale parisienne, et remarquons le fonctionnement tout à fait anormal des orchestres symphoniques. Ils sont nombreux à Paris, trop nombreux même, mais leur travail est conduit sans aucun plan d'ensemble. Ils sont tous des entreprises privées qui se concurrencent et s'empêchent de vivre. Certains orchestres sont créés grâce aux fonds donnés par quelques particuliers, d'autres constituent des sortes d'orchestres indépendants qui fonctionnent à leurs risques et périls et partagent les bénéfices entre les musiciens. Ces derniers doivent lutter contre les grands orchestres organisés par des particuliers et disposant d'importants moyens matériels. Parfois, un orchestre indépendant devient l'adversaire d'un orchestre de même catégorie. Le dimanche, par exemple, les salles ne sont jamais pleines. Une mauvaise salle perturbe le budget des orchestres et les empêche de faire un nombre suffisant de répétitions... sans parler du salaire "de misère" dont doivent se contenter la plupart des musiciens d'orchestre. Et, à Paris, ces musiciens sont le plus souvent de haute valeur et peuvent se débrouiller avec n'importe quelle partition moderne. »
Serge Prokofiev "Profil de la vie musicale parisienne (1931-1932)", Cité par SAMUEL Claude, Prokofiev, Solfèges, Éd. du Seuil, 1960 p. 167.
À une époque où les instrumentistes couraient le cachet dans les formations les plus diverses (y compris la chanson, le music-hall voire le cirque), Straram avait réussi à s'entourer de fidèles instrumentistes reconnus comme les meilleurs de la capitale. Ils étaient recrutés au sein des formations symphoniques (Pasdeloup, Lamoureux, Colonne...) et attirés par les hauts cachets proposés par l'administration des Concerts Straram. "Le nombre des musiciens engagés pour ces séances, précise le rédacteur de l'Encyclopédie Lavignac
(voir
bibliographie) est, en principe, de quatre-vingts à quatre-vingt-cinq et quelquefois davantage, suivant l'importance des œuvres interprétées. Quelquefois aussi, il se restreint à vingt-cinq ou quarante, lorsqu'il s'agit de compositions écrites pour orchestre réduit."
On remarque la présence de Lily
Laskine à la harpe, pratiquement la seule femme de l'orchestre, comme c'est le cas à l'époque dans toutes les associations parisiennes. Lily Laskine appréciait Straram "cet homme qui choisissait ses musiciens avec le soin d'un amateur de fleurs rares". Pour sa part, Roland-Manuel admirait le discernement de Straram : "Son oreille - la plus intelligente et la plus fine du monde - lui faisait discerner par delà les vertus propres d'un chanteur ou d'un instrumentiste, les secrètes affinités qui le destinaient à s'appareiller avec tel ou tel autre. C'est cette oreille qui a choisi, musicien par musicien, pupitre par pupitre, les éléments d'un orchestre sans doute unique au monde. C'est cette oreille qui a obtenu, après de minutieuses répétitions, ces exécutions inoubliables où la même perfection du travail effaçait les traces de l'effort des concertistes et de leur chef."
Le nom de ces instrumentistes virtuoses figurent sur tous les programmes à partir du 3ème concert de la saison 1926 (4 février). Bien sûr, les pupitres ont connu quelques mouvements internes. Toutefois, les postes clés des principaux solistes ont peu changé. Straram n'hésitait d'ailleurs pas à les mettre en valeur en les programmant comme solistes dans les œuvres concertantes tant baroques (Bach surtout) que contemporaines.
Violons I : de 14 à 16 violonistes. Marcel
Darrieux
a toujours occupé le rang de 1er violon. C'était une figure de la scène musicale parisienne ayant créé le 18 octobre 1923 le difficile
Premier Concerto pour violon de Prokofiev à l'Opéra de Paris sous la direction de Serge Koussevitzky. On possède des disques de lui jouant un arrangement de la
Rêverie
de Schumann ou encore la
Sérénade pour flûte, violon et alto op. 25 de Beethoven avec ses amis Marcel
Moyse
et Pierre
Pasquier (alto) en 1931, également membres de l'Orchestre Straram. Il était également titulaire chez Colonne. On peut l'écouter dans
Giration
de Gabriel Pierné enregistré le 1/12/1934 avec notamment Gustave
Dhorin
également au premier pupitre de basson chez Straram. On peut l'entendre enfin dans le
Concerto pour clavecin de Manuel de Falla (avec le compositeur au clavecin, les 2 et 7 juin 1930) avec Marcel
Moyse
(flûte) , Georges
Bonneau
(hautbois), Émile
Godeau
(clarinette), Auguste
Cruque
(violoncelle) tous jouant également pour Straram. Straram a confié à Darrieux une place de soliste dans de très nombreux concerts. Parmi les premiers violons, on distingue aussi Henry
Merckel, créateur de la
Rapsodie concertante de Golestan le 8 mars 1928, de
Burlesque
de Jean Rivier le 13 mars 1930 et du
Concerto pour violon de Robert Casadesus le 13 avril 1933. Parmi les Violons I, on trouve également Jean
Pasquier
qui jouera avec son frère le violoncelliste Étienne
Pasquier
le
Double Concerto de Brahms, le 11 février 1932. L'orchestre Straram comptait donc parmi ses pupitres les deux frères Pasquier : Jean au violon, Pierre à l'alto. Le grand violoniste Zino
Francescatti s'est glissé au 3ème pupitre des seconds violons sous le nom de "Francès" pour la saison 1928 et au dernier pupitre des premiers violons pour la saison 1929. À cette période, il enseignait à l'École Normale de Musique de Paris, mais avait entamé une carrière de soliste dès 1925. Dans une lettre de décembre 1925, il écrit à Straram : "Je suis navré de ne pouvoir faire les deux premiers concerts. Je joue à Lyon le 16 et le 24 à Nancy"... Il est étrange que Straram ne l'ait pas programmé comme soliste...
Violons II : 14 à 12 violonistes avec comme chef de pupitre André
Tavernier
également chargé du secrétariat de l'orchestre tandis que le fils de W. S. Enrich assurait le secrétariat de son père pour toutes les affaires administratives.
Altos
: 12 à 10 altistes avec Maurice
Vieux comme chef de pupitre. Maurice Vieux (1884-1951) a beaucoup contribué à la reconnaissance de son instrument. Il occupera la place d'alto à l'opéra de Paris 42 ans (1907 à 1949). Il sera également alto solo chez Pasdeloup, Colonne, à la Société des Concerts du Conservatoire. Il enseigna son instrument au Conservatoire à partir de 1918, formant une pléiade d'altistes. Il pratiqua également la musique de chambre (Quatuor Firmin Touche, Parent). Il joue la
Suite pour alto et orchestre d' Ernest Bloch le 10 mai 1928,
Harold en Italie de Berlioz le 17 avril 1930 et créée le
Concerto pour alto d'Hindemith de Milhaud, le 30 avril 1931. Dans le pupitre, on relève également la présence régulière de Pierre
Pasquier, fondateur du trio Pasquier avec ses frères Jean et Etienne. Il n'était pas seulement célèbre comme altiste mais passait aussi pour un habile caricaturiste. Sacha Guitry disait de lui : "Il y a le violon d'Ingres, il y a le crayon de Pasquier". Ses dessins ont été édités en 2004 au Éditions de Paris Max Chaleil sous le titre
La Grande parade
de Pierre Pasquier. Pierre Pasquier est le père de Bruno (violon) et Régis Pasquier (violon).
Violoncelles : 8 violoncellistes avec comme violoncelle solo Auguste
Cruque
déjà rencontré comme partenaire de Marcel Darrieux. Violoncelliste brillant également que l'on peut entendre aujourd'hui non seulement dans le
Concerto pour clavecin de Falla cité plus haut mais aussi aux côtés de la soprano Madeleine Grey et du flûtiste Marcel Moyse dans les
Chansons madécasses de Ravel enregistrées en 1926. Dans le même pupitre Marcel
Frécheville, soliste au concert du 24 mars 1927 et le 12 mars 1931 dans
Don Quichotte de Strauss.
Contrebasses : 6 contrebassistes. Chef de pupitre : M.
Boussagol
éminent professeur qui format entre autres de Maurice Leblan, Jean-Marc Rollez et François Rabbath. Il participait les 6 et 7 mai 1932 à l'enregistrement de la suite de
L'Histoire du Soldat de Stravinsky
[1]
sous la direction du compositeur avec ses collègues de l'orchestre Straram : Marcel
Darrieux, violon ; Émile
Godeau ; Gustave
Dhérin, basson ; Eugène
Foveau, trompette; Raphaël
Delbos, trombone; Jean-Paul
Morel, percussions.
Flûte
: Le grand Marcel
Moyse (1889-1984) assure ici tous les solos ( celui de
L'Après-midi d'un faune, évidemment) ayant travaillé chez Pasdeloup, à la Sté des Concerts du Conservatoire, à l'Opéra-comique (1913-1938) et ayant formé un nombre incalculable de flûtistes en France comme à l'étranger. Il a joué très régulièrement avec Straram de 1922 à 1933. Nombreux documents sonores sur You Tube et en
cd's. Il avait des rapports privés d'amitié avec Straram. Après la mort de celui-ci, et à la dissolution de l'orchestre, Moyse pense que "Monteux n'est pas le seul sauveur possible" et avance le nom d'Eugène Bigot. Autres membres réguliers du pupitre :
Manouvrier,
Boo,
Bauduin
Hautbois
: un pupitre qui voit passer Louis
Bleuzet (1874-1941), soliste de l'Opéra de Paris et professeur au Conservatoire, Georges
Bonneau
soliste dans le
Concerto grosso de Haendel le 27 février 1930 ou la
Pièce en si bémol de Henri Busser le 29 janvier 1931,
Baudo,
Bassot
mais toujours avec le fidèle Gobert
au cor anglais.
Clarinette
: Emile
Godeau, fidèle au premier pupitre avec
Voisine
et
Pigassou
à la clarinette basse.
Basson
: Gustave
Dherin
(1887-1964) professeur au Conservatoire de 1934 à 1957, Fernand
Oubradous
(1903-1986) futur chef à son tour des concerts Oubradous,
Bourgain
au contrebasson.
Cor
: Édouard
Vuillermoz, (1869-1939) célèbre professeur au Conservatoire et père de Jean Vuillermoz (1906-1940) également compositeur dont il sera donné en création le
Triptyque
(14 mai 1931) et de Louis Vuillermoz qui sera corniste à l'Opéra Comique ; Édouard a créé le
Poème pour cor de Koechlin le 24 mars 1927 (aucun lien de parenté avec le musicographe Émile Vuillermoz). A ses côtés,
Hodin,
Morin,
Delgrange.
Trompette
: Marc
Vignal
(à ne pas confondre avec l'éminent spécialiste de Haydn et de Sibelius !) premier pupitre de la Sté des Concerts du Conservatoire. Il jouait aux côtés de
Voisin,
Meriguet,
Carrière.
Trombone
: André
Lafosse (1890-1975) professeur au Conservatoire (1948-1960) célèbre pour sa méthode de trombone ; Il joua
Pulcinella sous la direction de Stravinski et fonda un
Octuor
à vent avec son collègue de pupitre Raphael
Delbos,
Lauga.
Tuba
:
Appaire,
Timbales
:
Larruel
puis Jean-Paul
Morel. Batterie :
Perret,
Arnoult,
Tourte
Harpe
: L'indispensable Lily
Laskine
(1893-1988). Le grand nombre de sites qui lui sont consacrés suffit à montrer sa notoriété. Pour tout savoir, consulter le site de l'Association des Amis de Lily Laskine. À ses côtés Germaine
Inghelbrecht, la femme du chef d'orchestre.
Piano,
Célesta
: Maurice
Faure
donne en première audition le
Divertissement de Jacques Larmanjat le 7 avril 1927. Il tenait le piano à la première audition de
Petrouchka
de Stravinsky aux Concerts du Conservatoire sous la direction de Philippe Gaubert, le 26 octobre 1924. Il lui arrivait de tenir l'orgue comme le 14 avril et 19 mai 1927, salle Gaveau pour le
Psaume XLVII
de Schmitt ou encore dans la
Symphonie n° 3 de Saint-Saëns le 30 janvier 1930 et le 4 février 1932. Il accompagnait régulièrement le violoncelliste Maurice
Maréchal. Faure était secondé par Mme
Moreau.
[1] "Bientôt après, la Société Philharmonique de Paris m'invita à conduire un concert de ma musique de chambre. Il eut lieu le 5 mars [1929], à la salle Pleyel. Au programme figuraient l'Histoire du soldat et l'Octuor ainsi que ma Sonate et ma Sérénade pour piano que je jouai moi-même. Je saisis cette occasion pour rendre hommage à l'admirable phalange des solistes parisiens qui, durant des années, ont si souvent contribué par leur talent et leur zèle remarquable à faire valoir mes œuvres au concert, soit au théâtre, soit aux fatigantes séances d'enregistrement. Je tiens tout particulièrement à nommer MM. Darrieu et Merckel (violons), Boussagol (contrebasse), Moyse (flûte), Gaudeau (clarinette), Dherin et Grandmaison (bassons), Vignal et Foveau (trompettes), Delbos et Tudesque (trombones), Morel (percussion). Igor Stravinsky, Chroniques de ma vie II, Éditions Denoël et Steele, Paris, 1935, p.149-150.
Édouard VUILLERMOZ (1869-1939), cor
Louis BLEUZET (1874-1941), cor
LILY LASKINE (1893-1988) en 1916
Marcel MOYSE (1889-1984) flûte
Maurice VIEUX (1884-1951), alto
L'orchestre, subventionné par le mécénat privé de Ganna Walska, jouissait d'une grande liberté dans ses programmes, dans le nombre de ses répétitions et dans son organisation générale. Son fondateur n'avait pas seulement de grandes ambitions pour les programmes et ses musiciens. Eric Straram, dans son
Histoire croisée d'une institution et d'une famille, le Théâtre des Champs-Élysées et les Straram,
précise également son ambition de toucher un très large public : "Précurseur des "Jeunesses Musicales", il y a 70 ans déjà, Walther Straram distribuait des billets à prix réduits aux étudiants ainsi que des billets gratuits aux aveugles, et insérait dans des saisons quatre concerts de culture musicale pour la jeunesse." Par ailleurs, le désintéressement de Straram quant à sa propre carrière entièrement dévouée à la musique faisait l'admiration de Ganna Walska qui lui accordait toute sa confiance. D'une manière générale, Straram détestait se mettre en avant et évitait les interviews. En revanche, il s'occupait de tout avec une grande minutie apportant, par exemple, sa contribution à la mise en scène ou aux décors quand il monte le festival Mozart de juin 1924. Les concerts des saisons avaient lieu le jeudi à 21 heures alors que les autres associations se produisaient le week-end. Cette initiative qui peut nous paraître aujourd'hui assez secondaire était tout à fait nouvelle et osée car elle visait un public qui travaillait au-delà de 35 heures par semaine, même si une bonne part de ce public appartenait à la classe aisée. La part faite à la musique contemporaine n'était pas la moindre des audaces tout autant que celle attribuée à la musique ancienne comme je l'ai montré sur la page Compositeurs.
Je renvoie au
livre de Gilles Demonet pour saisir en détail l'organisation des concerts Straram. Notamment la
Troisième partie
: « Créer les meilleures conditions de l'exécution musicale ».